«L'anxiété est la température de l'âme»

by: admin. /   mardi 27 août 2019 19:26
femme qui se dédouble

Tout le monde est plus ou moins anxieux. Faire de cette émotion un problème, n'est-ce pas risquer d'alimenter nos fantasmes du «zéro défaut»?

L'anxiété est une émotion normale, mais elle peut devenir gênante dans la vie quotidienne, voire franchement handicapante. Il est important que ceux qui en souffrent sachent qu'ils ne sont pas les seuls dans leur cas et qu'ils peuvent apprendre à trouver des stratégies, personnelles ou médicales, pour mieux vivre. Savoir comment nous fonctionnons, c'est déjà maîtriser ce qui nous arrive. Mais se sentir anxieux est un aveu de faiblesse. Les médecins eux-mêmes peuvent rechigner à donner des explications à leurs patients, surtout dans le domaine de la psychologie. J'ai écrit ce livre pour informer et aider les anxieux qui se battent contre eux-mêmes en silence. 

Mais l'anxiété est aussi un moteur!

Bien sûr! Elle rend curieux, dynamique, imaginatif. L'anxiété avertit du danger et permet à l'individu d'aiguiser ses mécanismes de défense. En fait, ce n'est pas tant l'angoisse - que j'assimile à l'anxiété - qui pose un problème, que la façon dont l'individu la gère. L'anxiété est la température de l'âme. Ne pas ressentir d'angoisse vous rend «froid», incapable de réagir. En revanche, une tension excessive provoque une surchauffe intérieure qui peut mener à des crises de panique. 

L'anxiété est le symptôme d'une «névrose d'angoisse», selon l'expression de Freud. Peut-on vraiment l'atténuer sans s'attaquer aux racines du mal?

En tant que psychanalyste, je peux difficilement dire le contraire! Seule l'analyse permet de trouver les raisons d'un problème et de se représenter soi-même et les autres autrement. Mais il y a des gens qui sont prêts à jouer les archéologues et d'autres pas! Faut-il laisser dans le noir ceux qui ne croient pas à l'analyse ou ceux qui ne s'imaginent pas qu'il puisse y avoir une autre explication que celle, logique, qu'ils ont trouvée pour se rassurer? Je ne le pense pas. Il s'agit non pas de guérir de son anxiété, comme on guérit d'une maladie des reins, mais d'apprendre à bien vivre avec son angoisse et à en tirer les effets bénéfiques. Mon approche est pragmatique, dans la lignée des thérapeutes anglo-saxons. 

Comment se définit la personnalité anxieuse?

Contrairement aux gens jouissant d'une grande tranquillité intérieure, qui retrouvent rapidement leur calme après un moment de stress, l'anxieux est fondamentalement inquiet, constamment en quête d'amour et de sécurité. Il se fait trop de souci. Souvent sur le qui-vive, il pense d'abord à ce qui le préoccupe, et non à ce qui peut lui procurer du plaisir. D'où une volonté fébrile de contrôler jusqu'au moindre détail de son existence. Comme il redoute de ne pas maîtriser les événements, il anticipe ce qui va lui arriver. Il s'arrête sur une idée, la repasse en boucle dans sa tête, rumine pendant des heures. Plus il y pense, plus ça l'occupe, et plus ça l'angoisse. C'est un cercle vicieux. Ce besoin de contrôle s'exerce aussi sur l'entourage. En famille, l'anxieux peut se montrer très susceptible ou très jaloux. 

Qu'est-ce qui distingue le grand du petit anxieux?

C'est une question d'intensité. Le petit anxieux peut vivre avec son anxiété parce qu'elle ne l'empêche pas de progresser, sur le plan social, professionnel ou personnel. Le grand anxieux, lui, souffre d'une angoisse disproportionnée. Il vit une véritable névrose au quotidien, souvent depuis l'enfance, sans pouvoir se contrôler. Les moments de crise en période de stress et de fatigue n'alternent qu'avec de rares instants d'accalmie. Il redoute plus que tout l'incertitude, la nouveauté. Comme ses préoccupations occupent le centre de son existence, il a tendance à être narcissique. Il craint le regard des autres parce qu'il manque profondément de confiance en lui, même s'il parvient à donner le change en adoptant un comportement très affirmé en public. Perfectionniste à l'excès, il est incapable de jouir de l'instant présent. Son corps est noué en permanence. L'autre jour, une dame avec des maux de dos et un caractère très irritable me dit: «Je suis un bout de bois. Je n'arrive pas à me relaxer.» C'est cela, la très grande anxiété: ne jamais pouvoir se détendre, même lorsque l'occasion se présente. Les grands anxieux manifestent toujours des troubles somatiques réels ou imaginaires. Beaucoup sont hypocondriaques, certains développent même de réelles maladies, en particulier cardiaques ou digestives. Une trop grande anxiété peut aussi être la source d'une timidité extrêmement paralysante. 

Les stressés, les peureux et les déprimés sont-ils des anxieux?

Non, il s'agit d'émotions différentes. Chez l'anxieux, l'inquiétude vient de l'intérieur, alors que, chez le stressé, la tension surgit en réaction à une situation extérieure concrète et disparaît dès que cette situation change. Coincé dans un embouteillage, un calme se détendra une fois le bouchon résorbé. Pas l'anxieux. La peur, elle aussi, est liée à un objet, à une menace déterminée. L'idée de rentrer tard le soir chez soi peut rendre anxieux. Croiser dans la rue deux voyous avec une batte de base-ball fait peur. Quant au déprimé, il parle au passé - «J'aurais dû faire ceci, je n'ai pas été à la hauteur» - alors que l'anxieux parle au futur - «Que va-t-il m'arriver? Pourvu que tout se passe bien.» Il faut faire attention, cependant: une anxiété aiguë peut mener à la dépression. Quand on s'inquiète trop, on s'habitue. Chez l'anxieux, se faire constamment du souci devient une stratégie - erronée, bien sûr - pour éviter de se laisser surprendre par la peur. Cet état de tension permanent peut provoquer une fatigue physique intense et une sensation d'impuissance caractéristique de la dépression. 

Comment le tempérament anxieux s'exprime-t-il chez l'enfant?

Le tout-petit parle avec son corps: attentif à tout et hyperémotif, il sursaute à la moindre porte qui claque, pleure facilement. Il a des problèmes de sommeil, d'appétit, des coliques. Dès l'âge de 2-3 ans, il manifeste une angoisse excessive lorsque sa maman n'est pas là, et le retour de ses parents ne parvient pas à le calmer. Une fois à l'école, il peut éprouver de grosses difficultés pour se concentrer ou communiquer avec les autres. A partir de 7-8 ans, âge des premières obsessions, l'enfant anxieux dit: «J'ai peur de...», «Je ne peux pas faire ça», «Je ne veux pas». La rumination peut devenir très envahissante. A l'adolescence, enfin, il tombe dans les extrêmes. Très timide ou très instable, il recherche les conduites à risque qui lui permettent de s'affirmer tout en exprimant son mal-être. 

Vous soulignez l'origine génétique de l'anxiété.

Nos connaissances actuelles permettent de dire, en effet, que la personnalité anxieuse dépend à peu près pour moitié de l'hérédité physiologique et, pour l'autre, de l'interaction entre l'individu et son milieu. Les chercheurs ont découvert que le gène SLC6A4 était plus court chez les sujets vulnérables à l'angoisse. Ils ont aussi noté que, chez ces mêmes sujets, la sérotonine était sécrétée en quantité insuffisante. Le psychologue américain Jerome Kagan, par exemple, a suivi 900 enfants pendant quatre ans. Il a montré que la timidité excessive était le trait de personnalité le plus stable des comportements dans l'enfance et que la précocité - dès le quatrième mois - des indices de ce trait de comportement rendait peu probable la seule influence du milieu familial. Il ne s'agit pas pour autant de nier le rôle essentiel de l'environnement: s'il est source d'angoisse sur le long terme, il peut favoriser l'expression des gènes anxieux chez l'individu. Mais il peut aussi permettre à ces gènes de rester silencieux s'il est suffisamment sécurisant. Un événement traumatisant - un deuil, par exemple - a moins de conséquences sur le développement de la personnalité anxieuse qu'une succession d'événements pénibles - déménagement, séparation, chômage, conflits familiaux répétés. 

La plupart des psychanalystes français sont pourtant très opposés à cette lecture déterministe.

A mes yeux, l'approche physiologique et l'approche psychanalytique ne sont pas contradictoires. D'ailleurs, les mentalités évoluent. Depuis quatre ou cinq ans, les psychanalystes ont organisé plusieurs colloques sur les neurosciences et la psychanalyse. Ceux qui refusent la génétique comme facteur causal oublient que Freud lui-même avait souligné l'importance des éléments biologiques et l'impossibilité pour la psychanalyse d'agir directement sur eux. La psychanalyse cherche non pas les causes du trouble, mais ses raisons, en reconstituant l'histoire de l'individu afin de faire apparaître le sens qu'il donne à sa vie. 

Les parents peuvent-ils renforcer - ou atténuer - le tempérament d'un enfant anxieux?

Une maman angoissée ne rendra jamais son enfant angoissé si celui-ci n'a pas un tempérament anxieux. En revanche, le sentiment de sécurité intérieure de l'enfant, puis de l'adulte, dépend de la façon dont se développe la relation d'attachement qu'une mère noue avec son nourrisson durant les premiers mois. Par exemple, l'extrême inhibition - caractéristique des grands timides - et l'extrême désinhibition apparaissent dès le quatrième mois. D'après les chercheurs, 25% des enfants inhibés le restent à l'âge adulte, 5% se «désinhibent», les autres atteignant le point d'équilibre entre ces deux catégories. On voit que ce «schéma d'attachement» constitue l'autre grand pilier de l'angoisse après le tempérament, déterminé, lui, biologiquement. Une maman doit être capable de repérer quand son bébé est crispé ou insatisfait pour bien répondre à ses besoins. Si elle est trop tendue, elle risque d'interpréter négativement chacun de ses comportements et de ne pas analyser correctement ses émotions. Cela empêchera l' «accordage» affectif qui doit se réaliser à cet âge, à l'image d'un instrument de musique que l'on accorde pour que l'harmonie surgisse. 

Et le père?

Il a un rôle important de médiateur. C'est lui qui apaise les effets de l'anxiété maternelle en poussant l'enfant à découvrir le monde et à affronter la nouveauté. Je veux insister sur un point: contrairement à ce que l'on pense, surprotéger son enfant est le plus sûr moyen de développer son anxiété. Le petit trop couvé pense très tôt que, si ses parents le surprotègent, c'est qu'il y a bien un danger qui le menace. Chez les parents séparés, cette réaction surprotectrice peut être accentuée par la culpabilité. Voulant bien faire, ils emmènent plus souvent que d'autres leur progéniture chez un psychologue. 

L'anxieux peut-il s'en sortir tout seul?

Oui, s'il est capable d'analyser les situations qui l'angoissent, de déchiffrer le sens qu'il donne aux événements et de se demander si ses réponses comportementales sont adaptées ou non. La première chose qu'il peut faire, et qui n'exige pas forcément d'aide extérieure, est de détourner son attention des idées qui l'obsèdent. Se plonger dans l'action, pratiquer des activités agréables, se faire plaisir, relativiser la situation par l'humour ou simplement décider de ne plus y penser sont des stratégies efficaces. Tout comme pratiquer un sport régulier, se relaxer et réduire sa consommation de café, de thé ou de cigarettes. 

Comment ses proches doivent-ils s'y prendre pour l'aider?

En se mettant à la place de l'anxieux, en essayant de ressentir ce qu'il ressent et en le rassurant par leurs gestes d'affection. L'anxieux a tellement le sentiment d'être incompris qu'il sera très sensible à cette démarche empathique. Il faut lui demander ce qui lui fait peur, réfléchir avec lui aux conséquences des scénarios qu'il imagine, l'aider à trouver des solutions et le pousser à se confronter aux situations difficiles. Un exemple: un chef d'entreprise très timide doit organiser une réunion suivie d'un cocktail. Il se sent si mal à l'aise que, à peine le cocktail commencé, il disparaît. Sa femme peut l'aider en parlant de la soirée avec lui avant qu'elle ait lieu, et en restant à ses côtés le jour J. Mais attention: il faut agir avec tact et patience. Dire à un anxieux «Tu as tort de réagir comme cela» ne sert à rien, car la raison n'a que peu de prise sur l'émotion. 

Comment se comporter avec un enfant anxieux?

Il faut l'aider à reprendre le contrôle de lui-même s'il s'énerve trop. Quitte à lui dire «Ça suffit!», en haussant le ton, ou à lui donner une petite tape, sans en abuser évidemment. Ce n'est pas une punition, c'est une protection. Les enseignants aussi doivent être attentifs. L'un de mes patients me citait l'autre jour une phrase de son maître à l'école primaire: «Tu n'écoutes pas, mets-toi au fond.» Sur le coup, cette réflexion a tellement fait écho à ses propres doutes sur ses capacités qu'il s'en souvient encore vingt ans plus tard! Les professeurs doivent adopter une attitude rassurante, en évitant de désigner l'enfant comme celui qui a mal fait ou de forcer excessivement sa timidité. Avant de lui imposer quoi que ce soit, mieux vaut lui poser des questions afin d'apprivoiser son angoisse: plutôt que de dire: «Pourquoi ne joues-tu pas avec les autres?», par exemple, il vaut mieux lui demander: «A quoi aimes-tu jouer?» 

Quel type de thérapie choisir lorsque les troubles persistent?

Il y a deux grandes approches. L'une, qualifiée d'éducative, dans le droit-fil des psychothérapies dites «morales» du XIXe siècle, qui explique aux gens ce qu'ils doivent faire au quotidien pour gérer leur anxiété. L'autre, psychanalytique, qui recherche les racines de l'angoisse. Il faut expliquer à l'anxieux la différence entre ces deux démarches et lui demander ce qui lui conviendrait le mieux. Généralement, le patient ne se trompe pas. Plus l'anxiété se manifeste par des symptômes précis, comme les troubles obsessionnels compulsifs, plus les thérapies cognitivo-comportementales à court terme - une douzaine de séances - sont efficaces. Si les troubles reviennent après une période d'amélioration, l'analyse sur plusieurs années est conseillée. 

Et quand les mots ne suffisent pas?

Les médicaments soulagent, à condition qu'ils soient prescrits à bon escient. Certains patients sont médicalisés alors qu'ils n'en ont pas besoin, et d'autres ne prennent rien alors qu'ils sont au bord de la dépression! Les nouveaux antidépresseurs sont plus efficaces que les anxiolytiques. Mais l'angoisse humaine ne doit pas être confondue avec un élément inerte qu'use et polit un abrasif. En trente ans de pratique, j'ai pu vérifier une chose: l'individu a beaucoup plus de ressources intérieures que lui-même ne l'imagine. 


Source: Lexpress


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